Dans une communauté où la langue française est minoritaire, plusieurs activités se font forcément en anglais (ex. télévision, tablette électronique, médias sociaux, lecture, récréations à l’école, activités parascolaires, etc.). De plus, nous retrouvons de plus en plus d’enfants anglo-dominants (AD) dans les écoles de langue française ici à Sudbury, ainsi que dans plusieurs autres communautés en Ontario. Alors, les enfants qui ont l’anglais comme langue dominante apprennent le français (langue minoritaire) dans une école de langue française tout en habitant dans une communauté majoritairement anglophone. Les enfants franco-dominants (FD), eux, apprennent donc le français en contexte minoritaire et sont ensuite exposés à l’anglais à l’école par le simple fait qu’ils côtoient des enfants qui apprennent le français comme langue seconde (L2). Cela diminue les occasions pendant lesquelles ces enfants peuvent entendre et utiliser le français, ce qui rend plus difficile l’acquisition et le maintien de la langue minoritaire. Typiquement, un enfant francophone à développement typique qui débute l’école utilise ses connaissances langagières antérieures pour élargir son vocabulaire dans la langue d’instruction. Cependant, un enfant anglophone à développement typique aura peu de connaissances antérieures disponibles dans sa L2 pour l’aider à élargir son vocabulaire dans la langue d’instruction (français). L’apprentissage de nouveaux mots peut se faire de deux façons. Cet apprentissage peut se faire de façon explicite, où l’enfant comprend le mot à l’aide d’une explication en utilisant des termes familiers, p.ex. : “Ceci est une écharpe. C’est un vêtement qu’on porte autour du cou pour nous réchauffer l’hiver.”. Ici, l’enfant peut connaître les termes familiers: vêtement, cou et hiver afin de saisir le sens du nouveau mot “écharpe”. Cet apprentissage peut aussi se faire de façon implicite, où l’enfant dégage le sens du nouveau mot à partir des termes familiers qui l’entourent, p.ex. : “Le vent glacier n’empêchait pas le garçon de s’amuser dans la neige, car son écharpe de laine le gardait bien au chaud.” Ici, l’enfant doit utiliser le contexte et les mots environnants: vent glacier, chaud, de laine, afin d’inférer le sens du mot écharpe. Cela étant dit, les enfants anglophones qui fréquentent une école de langue française et qui apprennent le français pour la première fois ont besoin plus d’appui puisque ces derniers doivent apprendre les nouveaux mots de façon explicite! Nous voulions savoir si les enfants anglo-dominants et les enfants franco-dominants provenant de communautés linguistiques minoritaires étaient suffisamment exposés au français et à l’anglais afin de permettre un apprentissage implicite du vocabulaire. Nous avons comparé les scores aux tests de vocabulaire de 25 enfants franco-dominants et 35 enfants anglo-dominants de 5 à 6 ans à ceux des normes monolingues. Les résultats ont montré que lorsque les enfants AD étaient évalués dans leur langue dominante (anglais), leur performance était semblable aux normes monolingues anglophones sur les tests de vocabulaire réceptif et expressif. Lorsque les enfants FD étaient évalués dans leur langue dominante (français), ils n’arrivaient pas à atteindre la norme monolingue francophone sur les tests de vocabulaire réceptif et expressif. Les résultats montrent aussi que dans tous les cas, les participants performent mieux dans leur langue dominante que dans leur L2. Alors, il semble que lorsque la langue dominante de l’enfant est une langue minoritaire, l’acquisition du vocabulaire devient plus difficile dans cette langue en raison du contexte linguistique minoritaire. Ceci peut être expliqué par plusieurs facteurs, mais celui qui ressort le plus est l’exposition aux langues. Nous avons aussi examiné les situations langagières à la maison de nos participants, soit un parent francophone et un parent anglophone, deux parents francophones, deux parents anglophones, etc. Ce qui est ressorti était que peu importe si les deux parents s’adressaient à leur enfant en français ou si un seul parent parlait à son enfant en français, les enfants franco-dominants réussissaient toujours moins bien à l’épreuve de vocabulaire en français que leurs camarades monolingues francophones de la même région. De plus, tous les enfants réussissaient moins bien dans leur L2, ce qui ne surprend pas, mais les enfants FD avaient un vocabulaire plus riche dans leur L2 (anglais) comparativement au vocabulaire L2 (français) des enfants AD. Ceci peut être expliqué par le fait que ce ne sont pas tous les locuteurs anglophones qui parlent le français, mais tous (ou presque tous) les locuteurs du français parlent l’anglais, ce qui fait en sorte que les enfants sont beaucoup plus exposés à la langue anglaise qu’à la langue française. En fait, dans une autre recherche (Mayer-Crittenden et coll., 2014) sur des enfants franco-ontariens, la performance des franco-dominants sur des tests évaluant la compétence linguistique d’enfants de cinq à six ans était faible comparé aux enfants québécois du même âge. La performance des enfants monolingues franco-ontariens et FD semble donc être affectée par le contexte linguistique ontarien. N’a-t-il pas d’espoir pour la promotion de la langue française en contexte linguistique minoritaire? Les questions qui demeurent en suspens après cette étude sont : Avec plus d’années de scolarisation en français, le vocabulaire des enfants bilingues FD se rapprochera-t-il de celui des monolingues francophones ? L’écart entre les AD et les FD diminuera-t-il? et Combien d’années d’exposition à la langue française et d’instruction dans cette langue sont nécessaires afin que les enfants AD acquièrent un vocabulaire comparable à celui des enfants francophones ou FD de cette même région ? Gervais & Mayer-Crittenden, 2018 Pour plus d'informations au sujet de l'expansion du vocabulaire de ton enfant, voir le PDF ci-dessous.
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Photos de notre salle multi-sensorielle à l'Université Laurentienne.Dans mon dernier billet, j’ai écrit au sujet du trouble spécifique du langage (TSL) et du TDAH. J’ai aussi parlé de la manière dont le TSL coexiste souvent avec d’autres déficits non linguistiques tels que certaines faiblesses cognitives subtiles, une difficulté avec les habiletés sociales, un trouble d’alphabétisation, un trouble de mémoire de travail et plusieurs autres. En fait, le TSL est souvent accompagné d’autres pathologies. Certains chercheurs suggèrent l'utilisation d'un terme plus large, tel que « trouble neurodéveloppemental », afin de tenir compte de toutes les difficultés qui peuvent coexister. Dans ce billet, j'aborderai la modulation sensorielle comme une des pathologies qui peut coexister avec un TSL.
Qu’est-ce que la modulation sensorielle? En bref, notre cerveau nous permet de recevoir, d’organiser et d’interpréter l’information sensorielle ; soit auditive (sons), visuelle (vision), vestibulaire (équilibre), tactile (toucher ou proprioceptive (ressentir notre propre corps dans l’espace). Certains enfants ont de la difficulté à traiter l’information sensorielle de leur propre corps et de leur environnement. La modulation sensorielle est le processus par lequel le système nerveux régularise les messages neuronaux (de nos sens) des différents stimuli sensoriels autour de nous. Les enfants qui ont un déficit de la modulation sensorielle peuvent réagir à des stimuli qui seraient généralement ignorés par les enfants qui se développent typiquement (p. ex. : bruit de fond). C’est ce qu’on appelle une surréaction sensorielle. D’autre part, il peut aussi y avoir une absence de réponses à certains stimuli. Par exemple, ils peuvent sembler ignorer des bruits ou même des directives verbales. Enfin, certains enfants recherchent et/ou désirent continuellement de l’information sensorielle, par exemple, ils aiment toucher des choses ou bien regarder des lumières brillantes. Notre capacité à moduler l’information sensorielle nous permet de produire une réponse appropriée qui correspond aux exigences et aux attentes de l’environnement. Par exemple, si nous marchions dans une pièce avec un ventilateur qui souffle tout près d’une radio qui joue en arrière-plan, notre corps va souvent s’habituer à la sensation du vent qui souffle sur notre peau ou le son de la musique, et nous pourrons ainsi poursuivre les tâches que nous étions en train de faire. Ce n’est pas toujours le cas pour les enfants qui sont atteints d’une déficience neurodéveloppementale. Les enfants atteints d’un TSL ont souvent de la difficulté à traiter l’information auditive, à apprendre les règles grammaticales du langage et à enregistrer les différents contextes du langage. Ils ont souvent des habiletés sociales faibles, un manque d’attention, des problèmes de motricité fine et globale, une mémoire à court terme faible, des difficultés de planification, d’organisation et de pensées séquentielles, ainsi que de la difficulté à commencer et terminer des tâches. De plus, les difficultés à moduler le montant d’information sensorielle reçu fait en sorte que l’apprentissage du langage est très difficile pour ces enfants. En fait, des chercheurs ont constaté que la parole et le langage sont le produit final de l’intégration sensorielle. L’apprentissage du langage implique beaucoup plus que le simple fait d’apprendre des mots. Le langage, c’est social. Pour comprendre le contexte d’un message, nous devons traiter l’information autour de nous, soit les expressions faciales, le ton de la voix, la posture corporelle, les mouvements des mains, les indices environnementaux, les intentions des autres, etc. Les enfants qui ont des difficultés avec la modulation sensorielle ont aussi de la difficulté avec la compréhension du langage. Qui aurait pensé que le langage était si complexe? Il serait utile de regarder les capacités de modulation sensorielle des enfants qui sont soupçonnés d'être atteints d'un trouble neurodéveloppemental afin de déterminer le diagnostic différentiel. Tel que mentionné précédemment, les enfants atteints du TSL, de l’autisme et du TDAH ont tous des difficultés au niveau de la parole et du langage, mais des recherches ont démontré que ces trois populations ont des difficultés de traitement sensoriel différentes. Dans la cadre d’une recherche, une de mes étudiantes diplômées et moi avons récemment créé une salle multi-sensorielle dans laquelle nous offrons de l’intervention en orthophonie tout en utilisant une approche multi-sensorielle auprès des enfants diagnostiqués avec le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtal. Vous pourrez y jeter un coup d’œil, des images ont été ajoutées à cette chronique. En utilisant un profil sensoriel, soit un questionnaire complété par les parents, nous pouvons adapter les stimuli sensoriels selon le profil et les intérêts de l’enfant. Cette salle offre des expériences sensorielles diverses, et ce, à l’intérieur d’une atmosphère relaxante et de confiance, tout en stimulant ou en calmant les sens. Les environnements multi-sensoriels sont très souvent utilisés en physiothérapie ainsi qu’en ergothérapie ; cependant, très peu d’études se sont intéressées aux effets ou à l’efficacité d’une approche multi-sensorielle dans le domaine de l’orthophonie. Nous sommes, pour cette raison, très enthousiastes au sujet de cette étude! Je suis aussi impatiente d’essayer cette approche avec des enfants qui sont atteints du TSL. Je sais avec certitude que ma fille ADORERAIT cette salle! À l’intérieur de cette salle, nous pouvons travailler les habiletés narratives tout en manipulant des objets, du sable kinesthésique et de l’eau. Le sable malléable aide souvent les personnes qui recherchent de l’information tactile. Nous pouvons aussi ajuster les lumières afin de représenter le temps du jour lors de la narration. En fait, nous ajustons les lumières selon les besoins sensoriels de l’enfant. De plus, nous avons utilisé de grosses marionnettes afin de créer des scénarios de situations sociales pour activer la pensée sociale. Nous pratiquons les expressions faciales tout en utilisant le mur de miroirs! La salle est aussi utile pour enseigner les règles sociales. C’est une approche très différente qui exige une certaine adaptation, mais les enfants répondent bien à la salle multisensorielle et ils sont vraiment engagés. Nous y avons inclus un aquarium avec un poisson. Celui-ci aide avec l’enseignement des responsabilités et pour discuter des comportements qui sont attendus ou inattendus (c’est-à-dire avec les animaux). Avec l’aide des différents textiles qui se trouvent dans la salle, nous pouvons travailler les compétences sémantiques tout en catégorisant les objets en fonction de leur apparence, de leur texture et de leur appartenance. En effet, il y a beaucoup de choses qui se passent dans cette salle, mais l’influx sensoriel détend les enfants, que ce soit par la lumière sombre, la musique relaxante ou l’essence de lavande. Les enfants sont capables de se concentrer sur les tâches à effectuer dans un environnement très informel, ce qui est vraiment différent pour les enfants (et pour les orthophonistes) qui sont habitués à un contexte d’intervention en orthophonie très formel, telle que l’école. C’est encore tout nouveau, mais je voulais le partager avec vous! Même avec toute mes recherches et mon expérience personnelle, j’en apprends un petit peu plus sur le TSL tous les jours. Une chose est sûre, si le fait d’exploiter les différents sens pouvait aider ces enfants à apprendre, alors je crois qu’on devrait revoir l’intervention traditionnelle en orthophonie et apprendre davantage sur les profils et besoins sensoriels des enfants. Ceci pourrait nous aider à aider les enfants atteints d’un TSL et de d’autres troubles de communication pour que le monde complexe qui nous entoure fasse du sens. Après tout, nous sommes des êtres sociaux et nous communiquons en utilisant TOUS nos sens, alors pourquoi ne pas utiliser tous nos sens pour enseigner le langage? Matière à réflexion! Je vais vous tenir au courant des résultats de cette étude, donc restez à l’écoute! D’ici là, merci de m’avoir lu! La production de ce projet a été rendue possible grâce à une contribution financière provenant de Santé Canada. Les vues exprimées ici ne représentent pas nécessairement la position oficielle de Santé Canada. Mon prochain billet portera sur mon expérience et mes conclusions du "Child Language Symposium", à Conventry, Angleterre. Chantal Mayer-Crittenden, 2015. |
AuteureChantal Mayer-Crittenden, Ph.D., SLP Reg CASLPO Archives
July 2018
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